MDR 13

On a parlé des vieux, récemment. C’était pas très drôle, du coup après pour vous changer les idées je vous ai mis deux saloperies de chansons 80′s dans le crâne. (Je prends soin de vous, hein ?) Mais là j’ai encore un truc à vous raconter.

Parce que dans tout ça, on néglige de parler du lieu de vie du Vieux. Des fois, le Vieux vit chez lui, où il peut à loisir se plaindre des voisins, qui font du bruit des fois jusqu’à des vingt-et-une heures, vingt-et-une heures trente ; l’empêchant ainsi de bien profiter de son insomnie.
Ah oui, eh, parenthèse, moi si un jour je suis vieille jvous préviens jvais pas me coucher avec les poules si j’ai pas envie, hein. Je me refais l’intégrale de Game Of Thrones en sirotant du Banuyls. Cordialement.

Mais des fois, quand ça va pas trop mal mais plus trop bien non plus, il vit à la Maison De retraite.
J’ai pas mal fréquenté la Maison De Retraite ces derniers mois. Et comme ce serait dommage que je ne vous fasse pas profiter, une fois de plus, de mes observations subtiles, j’ai tout bien regardé pour vous expliquer à quoi on reconnaît une Maison de retraite (ou MDR), ceci au cas où vous cherchiez un MacDo et que vous entriez dans une MDR à la place, par hasard.

1.Il y a de la nourriture pas salée. Le Vieux te propose souvent beaucoup d’argent en échange d’une petite salière qu’il pourra cacher dans sa molaire -et des fois c’est même pas ton Vieux à toi, hein. C’est un vieux, qui te guette à un coin de couloir et attends que tu repartes pour te demander des articles de contrebande. Parce qu’apparemment, quand tu es vieux, c’est comme quand tu es enfant : on fait comme si tu n’avais plus le sens du goût. Donc, on essaye de te convaincre qu’il faut manger et prendre des forces en te foutant sous le nez du filet de dinde mixé à la sauce à rien. Pas salée. Ça marche vachement -pas.

2. La MDR aimerait bien que ses Vieux soient joyeux, même si c’est de la joie sans sel. Alors ils font des animations et des décorations thématiques.

3. Qu’est-ce qu’une animation en MDR ? On réunit tous les Vieux et on leur passe des disques de chansons de quand il n’étaient pas vieux. Si tu veux entendre Le Temps des Cerises pour la dernière fois de ta vie (tu ne pourras plus jamais), la MDR t’attend. Ou bien des enfants (probablement punis) viennent leur réciter des poésies ; ou alors l’Association de Théâtre Amateur de la ville vient jouer pour eux (ça c’est quand les vieux sont punis). Si tu arrives pendant une animation, quarante paires d’yeux se posent sur toi et te scrutent. T’as pas du tout l’impression qu’il vont se jeter sur toi quand tu vas passer en t’excusant de déranger, et t’aspirer ta jeunesse.

4. Qu’est-ce que la décoration thématique ? Selon mes observations, cela consiste en deux mannequins en pied, piqués je ne sais où, décoré selon le thème de la saison. Par exemple à Noël, il y avait un mannequin blanc (de femme) (aveugle) avec un costume de Père Noël ; un chien empaillé attaché à un tout petit traîneau, de la fausse neige en coton, des paquets cadeaux, et un palmier en plastique avec des boules de Noël. En un mot : la crèche la plus flippante de toute l’histoire de l’humanité. C’était à la fois chelou, disproportionné et horriblement drôle : un cauchemar éveillé. Magique.

5. Dans les couloirs, il y a des meubles qui attendent d’être désinfectés pendant qu’on lave la chambre pour la donner à un nouveau Vieux. Sur la commode, il y a un calendrier journalier daté de l’avant-veille. Que personne ne va plus remettre à jour en arrachant la journée passée. Y’a pas de problème. La patate. Tout va bien. Le précédent occupant de la chambre est juste parti à la campagne, voilà, dans une grande maison confortable où il trottine en compagnie d’autres vieux et de Kiki ton hamster qui s’est enfui quand tu avais 5 ans.

6. C’est le festival de la main propre. Partout, il y a des petites pompes à Bacticontrôle, pour remplir ton petit flacon, discrètement. Tu sors de là avec le moral à moins douze mille, mais par contre, tu as les mains propres -et pour gratuit. Yay !

7. Il n’y a pas de sel dans la purée, mais par contre, à Noël, on propose au Vieux du Pastis – ou du Porto. Sans doute pour augmenter le risque d’embouteillage en déambulateur, et mettre un peu d’ambiance.

8. Il y a du personnel dévoué, attentif et gentil (sérieux, c’était une très bonne MDR, avec le louxe du cœur, genre : peu de moyens pour la crèche de l’Enfer, mais des gens vraiment bien). Qui s’y connait. Et donc, pendant que tu chuchotes et que tu hésites avant de moucher, de coiffer ou de rajuster sur les oreillers, parce que le Vieux il est fragile, eux arrivent, hurlent « COMMENT CA VA, MAME DUBEULOGUE ?! C’EST CHRISTINE/ MARTINE/ EVELYNE/ AMINE », et après ils te l’atrappent, ton vieux, il le retournent, le redressent, le bordent ; hophophop, ça leur prend douze secondes. Le Vieux est content, parce qu’en fait, à force de rester à à pas oser le bousculer, il avait le pyjama tourbichoné, le bras en équerre, et il se noyait dans ses glaires. Personnel de la MDR : respect.

9. Quand tu pars avec les yeux qui coulent dedans, parce que dehors tu peux pas, parce qu’il ne faut pas pleurer, y’a CHRISTINE/ MARTINE/ EVELYNE/ AMINE qui te chope dans le couloir, et malgré les 127 chambres à visiter, les deux collègues grippés à remplacer, les deux heures de trajet pour rentrer chez lui/ elle après, il/ elle prend le temps de te regarder bien droit et de te dire la seule chose qui peut encore vaguement te consoler : « Vous savez, elle n’a pas mal. Vraiment.  »

10. Après tu rejoins enfin l’entrée, qui du coup va être la sortie, tu as un peu hâte, et là il y a une nouvelle crèche thématique ingérable, avec un mannequin avec un costume de clown à pois, et des oreilles de Bunny Playboy, et un canard en plastique parce que c’est jaune c’est printemps c’est frais c’est joie, canard qui est en fait, quand tu regardes de plus près, un sex-toy -merci aux généreux donateurs-, et aussi des faux œufs de Pâques, bien sûr, parce que ton Vieux n’est pas le seul dans la MDR et que pour les autres, c’est encore important de voir que les jours passent, que les saisons avancent, et que ça y est, ils l’ont vaincue, cette hibernation sans fin ; les jours rallongent, la nuit bat en retraite et il n’a pas eu leur peau de vieux, ce putain d’hiver, pas encore, pas cette fois ; il y a aussi un embouteillage de déambulateurs et un aide soignant avec un nez de lapin qui essaye de démêler tout ça mais personne ne l’écoute parce que pour Pâques, c’est Monbazillac ; et y’a « Le Temps des Cerises » qui beugle dans le fond pour que tu te souviennes que l’hiver en a quand même eu quelques uns et que tu boufferas les premiers fruits rouges avec une chaise en moins à table ; et juste à la porte d’entrée il y a un Vieux avec le pantalon remonté jusqu’aux aisselles qui te souhaite « Joyeuses Pâques, Msieur-dame !  » avec un enthousiasme aussi touffu et improbable que ses poils d’oreilles. Alors tu craques et tu te marres, ça part du ventre et ça avale tout, et tu pleures quand même, au final, mais c’est moins grave.

13 avis sur “MDR

  1. L'aveuglé palpatif mai 7, 2013 18:36

    Vous venez de me faire rire et de me foutre le bourdon en même temps. Bravo, impératrice. Maintenant je regarderai mes charentaises avec l’impression d’y voir les chaussures de clown de la mort.

  2. Krazy Kitty mai 7, 2013 19:32

    La MDR ne s’appelle pas la MDR, mais le foyer, ou la résidence.

    Dans la MDR il y a un ascenseur, un ascenseur pour vieux en déambulateurs et privés de réflexes, tellement que le temps que tu descendes les escaliers et les remonte parce que tu as oublié un truc, la porte ne s’est toujours pas fermée.

    Dans la MDR, il y a des escaliers, pour CChristine-Martine-Evelyne-Amine qui ont pas que ça à faire et les visiteurs qui se raccrochent au fait que eux, ça va, ils sont pas encore vieux. Sous la cage d’escaliers, il y a une rangée de fauteuils roulants, et tu te dis qu’ils n’attendent que le départ de la course, parce que dans la MDR, tu as un humour encore plus merdique qu’à l’habitude.

    Dans la MDR, il n’y a pas de miroirs, sauf dans la chambre de ton Vieux si ton Vieux est un coquet qui se débrouille toujours pour avoir plus d’élégance que toi malgré ses articulations en vrac, sa peau en plis et en tâches et ses cheveux aux abonnés absents.

    Dans la MDR, il y a des vieux qui sont en encore plus mauvais état que ton Vieux, et ça lui fait plaisir à ton Vieux, d’avoir la chance de ne pas avoir besoin de déambulateur (heureusement il y a des rampes dans le couloir, et puis toi, et puis Christine-Martine-Evelyne-Amine).

    Dans la MDR, il y a des vieux qu’aucun non-vieux ne vient jamais voir, et ça ton Vieux ça lui fait un peu peur, « tu sais ma chérie ici il y a des gens que leur famille ne vient pas voir », et tu peux pas t’empêcher de dire qu’ils l’ont peut-être mérité, même si tu sais que c’est bien ça qui lui fait peur, à ton Vieux, de pas mériter ta visite.

    Dans la MDR, tu t’extasies sur la gentillesse de Christine-Martine-Evelyne-Amine, la qualité de la nourriture, la variété des animations, la gaieté des décorations, alors que tu n’as qu’une envie celle de te barrer en courant pour ne plus penser ni à ton Vieux qui a démissionné il y a déjà longtemps, ni aux autres vieux qui lui disent que chaque année en MDR vous vieillissent de 10 ans, ni à la trouille que tu as à l’idée de finir seule ailleurs qu’en plein soleil.

    (Je sais pourquoi je n’écris plus chez moi, je fais des billets entiers dans vos commentaires.)

  3. Faerika mai 7, 2013 19:52

    J’ai la trouille des vieux depuis que j’ai vu l’épisode de docto Who « Le Seigneur Des Rêves ».
    Hormis ça, mon daron est rangé dans une MDR (il croit toujours que c’est parce que c’est plus près de chez lui, ce cher ange. Il ne s’est toujours pas rendu compte que c’est parce qu’il est VIEUX) quand il est pas en train d’agoniser dans l’un ou l’autre des hostos du Gers et de la Haute-Garonne.
    Ben c’est tout pareil que les MDR parisiennes : bouffe grise sans sel, MARTINE beuglante, déco hystérique et odeur de manugel.

  4. wayne99 mai 7, 2013 19:57

    C’est le TEMPS des cerises.

    Je le sais, la MDR me tend les bras.

  5. Soupline mai 7, 2013 20:48

    Je ne commente jamais d’habitude, je me contente de venir, lire, aimer, et repartir en silence.
    Mais là…je suis passée à l’état liquide (et soudain, le coup du corps humain composé à 70% d’eau, ça me parait vachement concret d’un coup, parce que du liquide j’en ai plein les yeux là maintenant).
    C’est drôle, c’est triste, en ce moment ça me parle particulièrement.
    J’aime. Merci.
    (Un peu trop sérieux comme commentaire ? Bah c’est l’humeur du moment).

  6. Cathy mai 7, 2013 21:15

    argh la dernière visite en MDR j’ai poussé le fauteuil roulant de Micheline Dax elle avait besoin d’aide . C’était très triste (et c’est même pas une connerie).
    J’ai très peur d’aller la bas un jour.

  7. Bayane mai 7, 2013 22:08

    Grands Dieux. Moi je viens ici pour rigoler, dites, impératrice. Là j’ai pas pu lire jusqu’au bout tellement ça m’a déprimée… Pauvres petits vieux. Booh.

  8. Super Salade mai 8, 2013 09:09

    Bon voilà voilà voilà. moi je me demande si je serais pas composée à plus de 70% d’eau, du coup. Très beau texte, comme toujours. Je suis contente que mes vieux à moi aient tous été emportés par des maladies merdiques, soit, mais assez rapidement pour n’être pas passés par la case MDR. Le dernier vit chez lui, encore.
    En tous cas, Impératrice, je suis de tout coeur avec vous.

  9. Guacamole mai 8, 2013 13:35

    Non non non,impératrice, quiconque m^me un aveugle (enfin surtout) est allé, rien qu’une fois dans une MDR SAIT que la première caractéristique de la MDR c’est l’odeur…rien d’y repenser je l’ai là, bien présente, mais je me réjouis déjà de lire ta description de cette odeur si caractéristique…

  10. Achso mai 9, 2013 17:12

    Moi j’aime bien les MDR… Oui, je sais la réflexion peut paraître étrange, mais j’ai habité toute mon enfance à côté d’une MDR, donc du coup, je dois être immunisé… Et pourtant, j’ai déjà eu la vieille dame qui se pointe dans ton garage en te demandant les horaires du prochain train et le défilé des corbillards lors des épidémies de grippe… et bien malgré tout j’aime les MDR et les personnes très âgées… voilà-voilà…

  11. Jamic (Le Namoureux de Ninita) mai 13, 2013 10:08

    Impératrice, faudrait que j’arrête de lire vos billets sur les vieux. Déjà le précédent m’avait limite fait passer à l’état liquide (et au travaillement, c’est pas discret) et celui-ci m’a presque fait le même effet. Paix aux âmes de mes deux grand-mères parties parties rejoindre Kiki il y a deux mois.

  12. AlieT mai 16, 2013 09:48

    Moi aussi d’habitude je laisse pas de commentaires (je ris ou pleure en silence), mais Maman Marie-Ange, infirmière en MDR de son état, a qui j’ai fait lire ce post, m’a demandé de vous poster ça (Maman Marie-Ange a du mal avec le ninternet en général…):
    « Le pire c’est que c’est peu de chose à côté de ce que je vis, je vois, je m’incline, je me révolte tous les jours.
    Car je suis tellement rongée de par l’intérieur de ce que nous faisons vivre et subir aux vieux en structure que le poids du silence est trop lourd pour être entendu et recevable.
    En MDR, je ridilulise le vieux, je l’infantilise, je le déresponsabilise, je le tourmente, je l’oblige (je ne lui laisse pas le choix) je le standardise, le confonds, le pose et le déplace, je l’ignore et je l’oublie, oui, je l’oublie, c’est arrivé!
    Des soignantes, aussi, leur témoignent du respect, de l’ampathie, les écoutent et les accompagnent dans la vie et la mort.
    Des soignantes qui leur demandent ce qu’ils souhaitent, ce qui leur ferait plaisir, de quoi ils ont besoin? des soignants qui posent des questions ouvertes et libératrices.
    Des soignantes qui reçoivent la détresse des gens (pleures, cris, confusion, abandon, douleur, dépression), qui reçoivent en pleine figure la déshumanisation des grands collectifs!
    Le vieux en MDR doit faire plusieurs deuils, va perdre son identité, ses habitudes, ses repères, ses amis.
    Il lui restera encore sa propre histoire que personne ira lui violer (mais en même temps elle intéresse si peu de soignants)!
    le vieux médite souvent sur son histoire, il se renferme dedans, c’est sa bulle, son refuge, sa carapace, sa coquille, là dedans nous lui foutons la paix!
    Vous savez c’est le vieux que vous mettez là, il ne bouge pas, est plié en deux, à le regard dans le vide, il est perdu dans ce vide!
    Considérer l’histoire, le ciment du vieux, serait lui donner trop de notre temps et les 80 autres!
    Une mère qui va crier de folie le jour ou elle ne sera plus en mesure de maîtriser et gérer sa vie car je sais que d’autres le ferons pour moi et Comment le feront ils!
    J’ai peur et je ne veux pas me laisser manipuler, sans estime, sans considération, sans reconnaissance, même vieille et plus laide! »

  13. Coline mai 19, 2013 18:04

    dans la MDR
    ça sent toujours un peu le pipi
    et la soupe (de poireaux) froide

Commentaires clos.